Le portrait augmenté, avec Murielle Szac

Des milliers et des milliers d’enfants connaissent désormais très bien ces épais livres à la couverture blanche, aux illustrations stylisées et colorées… Les feuilletons de Murielle Szac célèbrent les mythes et les grandes figures de ces récits. Voilà bientôt vingt ans que le premier, « Le feuilleton d’Hermès », est sorti (éd. Bayard jeunesse) suivi par quatre autres et atteignant, à eux tous, plus de 500 000 exemplaires vendus. Avec ce nouvel opus, l’autrice se penche sur les Jeux d’Olympie. Entre deux trains, trois salons et autres lectures musicales, Murielle Szac raconte au Média de la FdLB comment s’est élaborée l’écriture de ce nouveau « feuilleton ». Entre sources historiques et fertile imagination…

par Raphaële Botte.

L’oralité.
« Ce feuilleton est né un peu différement des autres ! J’ai été contactée par l’équipe de la Maison de la Culture de Grenoble qui m’a passé une commande d’écriture autour d’un projet intitulé « Du courage » dans le cadre des Olympiades culturelles. L’idée était de concevoir un feuilleton plus court pour évoquer l’égalité des chances, des sexes, des races à destination de comédiens professionnels qui accompagneraient ensuite différents publics de jeunes, de personnes en détention, d’autres en situation de handicap…  “Mes feuilletons” sont des livres écrits pour l’oralité, pour être racontés, donc, cela ne changeait pas grand-chose que ce soit, dans le cadre de ce projet, pour la scène et ce texte a pu rejoindre ensuite la collection. »

La place des lieux, le site antique.
« Ces dernières années, j’ai été amenée à retourner sur des sites antiques présents dans mes feuilletons comme Delphes, Epidaure, Olympie… J’y ai lu des extraits de mes textes dans le cadre de voyages organisés par ma maison d’édition. Vassi Traka, une guide très érudite qui nous accompagnait, m’a fait découvrir Olympie avec un nouvel oeil… Elle nous a raconté par exemple l’origine des zanes, ces statues érigées avec l’argent des tricheurs, ou encore expliqué ce qu’étaient les Héraia, ces jeux olympiques des femmes. J’ai regretté de ne pas avoir eu connaissance de ces informations au moment où j’évoquais les jeux olympiques dans de précédents écrits… La grande histoire m’intéresse, bien sûr, mais moins que toutes ces « petites » histoires qui flottent autour de nous et qui sont vraiment des matières vivantes. Aller sur place, sentir à nouveau cette atmosphère – qui plus est accompagnée de cette formidable guide – nourrit aussi énormément l’écriture. »

Personnage.
« Quand je me lance dans l’écriture d’un feuilleton, je ne choisis pas le personnage en premier. J’ai d’abord besoin de sentir la direction que je vais prendre. Les personnages se sont imposés par les thèmes qu’ils portaient. Par exemple, Thésée est le seul héros qui se sort de ses affaires sans l’aide des dieux, il fait des erreurs, il cherche et va évoluer. Avec Artémis, je voulais une déesse qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Dans mes feuilletons, il faut toujours que mon personnage vive ce qu’il se passe, que ce ne soit pas raconté de l’extérieur. Alors évidemment, c’est la première question que je me suis posée en commençant les jeux antiques. Pour la première fois, j’étais obligée d’en inventer un. En cherchant, j’ai découvert le rôle et la place des hellanodices, ces juges-arbitres dont certains étaient tirés au sort. Cela pouvait donc tomber sur n’importe qui… Et c’est ainsi que j’ai imaginé ce personnage qui doute, qui se retrouve face à des choix, et qui découvre les spécificités des jeux en même temps que le lecteur.  Son nom est Crissias, “celui qui juge”. »

Jeux d’hier et jeux d’aujourd’hui.
« L’essence du projet est de retourner à ce qui fait la force et les limites de ces jeux antiques. Je tenais par exemple à reparler de la trêve olympique qui, pour moi, trouve une grande résonnance dans le contexte international dans lequel vont s’ouvrir les jeux 2024… Je ne veux pas rentrer dans une comparaison entre les jeux d’hier et ceux d’aujourd’hui mais je veux montrer que participer aux jeux de l’Antiquité, c’était aller au bout de son effort dans le respect de l’adversaire, et qu’il y avait une joie formidable. Lorsqu’un champion gagnait, le nom de son père et celui de sa ville étaient criés dans le stade : il gagnait pour les autres. Je trouve ça beau de le rappeler.»

Imagination.
« Je ne me fixe aucune limite. Je ne m’interdis rien, je picore, je pioche d’un côté, de l’autre, et je refais ma sauce. Là où il manque un lien, j’en crée un ! Là, c’était un tout petit peu plus compliqué puisque j’allais m’appuyer sur des événements qui s’étaient réellement passés mais je me suis complètement affranchie de toute notion historique dans le sens où je m’autorise à mélanger les périodes. Pour donner un autre exemple complètement imaginaire : j’ai fait rentrer mon centaure car je voulais qu’il y ait du mythe, du fabuleux. C’était aussi un clin d’œil à mes lecteurs qui l’ont déjà croisé dans mes livres… J’avais besoin de lui, Chiron, pour avoir un personnage qui puisse montrer le passé. »

Une écriture toute en précision.
« Pour moi, l’appréciation des mots, de leur complexité, est intuitif. Je considère que si un texte pour les jeunes lecteurs est bien écrit, un mot compliqué se comprend. Mon but n’est pas que les jeunes lecteurs retiennent ces termes difficiles et en général, je suis contre la présence d’un lexique car je crains toujours que cela donne au texte une apparence didactique, pédagogique. Dans la même idée, je n’aime pas qu’il y ait des astérisques dans un récit. Mais je tiens malgré tout à utiliser les termes propres pour que le texte ait cette connotation antique. J’ai toujours refusé de faire figurer un arbre géanéalogique dans mes livres car je n’aborde pas ce sujet sous cet angle-là. Ce ne sont pas des documentaires, ce sont des histoires, des récits.  Mes lecteurs s’y retouvent complètement et je vous assure que, pendant les rencontres, si j’oublie le nom d’un personnage, ils me le rappellent tout de suite ! »

Les sources
« Je butine dans les livres, je picore. Je ne lis pas du tout cela de la première page à la dernière en prenant des notes comme si j’étais en train d’apprendre une leçon. Je vais lire un chapitre, m’arrêter sur une image, plonger ailleurs… Je récolte des cailloux qui me serviront ensuite à inventer une scène, à écrire une histoire. »

Lettres modernes.
« J’ai fait des études de lettres modernes et le grec n’était pas enseigné dans mon collège, ni dans mon lycée. J’avais une grande passion pour les mythes mais je n’ai pas du tout apprécié mes cours de latin dont je n’arrivais pas à sentir l’intérêt. Cette langue a même été un calvaire pour moi ! »

Des personnalités qui se dressent.
« Je fais des liens entre tous mes livres et dans tout ce que j’écris… J’ai toujours un projet derrière chaque livre et ces projets sont très cousins ! Mes livres se donnent tous la main d’une manière ou d’une autre, ils ont un chemin commun. Que j’écrive pour les petits, les ados, les adultes… les mots “résistants” et “liberté” sont partout. C’est ce qui me porte, c’est mon engagement en littérature. »

En images.


La joie des jeux, de André Bernand (Tana Éditions). « J’ai trouvé cet ouvrage très original. Il rentre vraiment à l’intérieur des jeux, montre comment cela se passe et j’y ai puisé de nombreuses anecdotes. Je repense par exemple à l’épisode sur le défilé, la marche jusqu’à Olympie… »


La Naissance des jeux olympiques et le sport dans l’Antiquité, de Violaine Vanoyeke (Les Belles Lettres). « Celui-ci est très érudit et m’a permis de replacer ces jeux dans un contexte historique car nous parlons des jeux d’Olympie, mais il existait beaucoup d’autres jeux sportifs. Ce livre analyse la place du sport et de la compétition dans cette civilisation. C’est très intéressant pour moi car cela me permet de ne pas faire de contresens historique. J’y ai aussi compris à quel point, dans l’Antiquité, ces jeux permettaient au public de souffler dans un monde qui était d’une grande dureté, où tout était dangereux et difficile. »


« Nous habitons une partie de l’année en Crète depuis 12 ans. C’est ici que se trouve le lieu de l’écriture, de l’inspiration, du calme et du retour vers mes personnages et mes histoires. C’est un lieu d’enracinement qui me permet de me recentrer. Les Crétois qui nous entourent sont heureux et fiers que j’écrive sur leurs mythes. J’ai aussi raconté dans Eleftheria (éd. Emmanuelle Collas) une partie de leur histoire. Nous alternons les périodes en France essentiellement axées sur les rencontres avec les lecteurs en festival et en libraire. »


« Il y a plusieurs terrasses dans notre maison et suivant l’heure du jour ou la saison, je change de côté. Avec ma théière pleine d’un breuvage mystérieux, celui que Pénélope fait boire à un enfant malade à la fin du Feuilleton d’Ulysse, celui qu’utilise aussi Asclépios dans Le feuilleton d’Artémis, le dictame (ndlr : une plante crétoise). Même Aphrodite a soigné son fils Anchise blessé à Troie avec des cataplasmes de dictame. Mais chut, c’est un secret ! Les hirondelles pinces à linge ? Elles apportent cette poésie qui nimbe mon quotidien crétois, jusque dans le linge qui sèche au soleil. Ici derrière chaque arbre peut surgir une dryade (ndlr : une nymphe protectrice des forêts). C’est ici que Zeus fut caché et sauvé de la voracité de son père tout de même… »

Un entretien réalisé par Raphaële Botte.

Le livre / Le feuilleton des Jeux d’Olympie,
de Murielle Szac, illustrations d’Olivier Balez, éd. Bayard Jeunesse,
90 p., 13,90 €.

Murielle Szac ©Esther Szac

L’’autrice / Murielle Szac
Murielle Szac est née en 1964 à Lyon. Longtemps rédactrice en chef de plusieurs magazines jeunesse de Bayard, elle est devenue autrice, éditrice et directrice de collection. Elle vit à Paris et passe une grande partie de l’année en Crète.

Bibliographie sélective /
Le feuilleton d’Hermés, éd. Bayard jeunesse, illustré par Jean-Manuel Duvivier (2006).
Le feuilleton de Thésée, éd. Bayard jeunesse, illustré par Rémi Saillard (2011).
Le feuilleton d’Ulysse, éd. Bayard jeunesse, illustré par Sébastien Thibault (2015).
Le feuilleton d’Artémis, éd. Bayard jeunesse, illustré par Olivia Sautreuil (2019).
Le feuilleton de Tsippora, éd. Bayard jeunesse, illustré par Joëlle Jolivet (2023).
Pour en savoir plus : https://lesfeuilletonsencentepisodes.bayard-editions.com/

Victor Hugo, Non à la peine de mort, coll. Ceux qui ont dit non, éd. Actes Sud Jeunesse (2015).
Joan Baez, Non à l’injustice, coll. Ceux qui ont dit non, éd. Actes Sud Jeunesse (2019).
Pour en savoir plus : https://www.actes-sud-jeunesse.fr/recherche_collections.php?collection=904

La Grève, éd. Le calicot (2024 – première édition au Seuil, 2008).
Tosca, éd. Emmanuelle Collas, 2024.

Retrouvez tous les livres de l’auteur Chez mon libraire. 

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